Lectrices et lecteurs, bonjour !

Comme beaucoup d’habitants de La Cité Eternelle le savent déjà, du moins ceux qui ont l’intelligence de lire le plus beau des journaux, le mandat de l’actuel Porte-Flamme s’achèvera dans très peu de temps.
Outre les diverses critiques, qu’elles soient positives ou négatives ce n’est pas ici ce qui nous intéresse, une phrase est sur toutes les bouches et dans tous les esprits :
« Qui succèdera à Papillon ? »

Comprenant l’importance de la politique et ses conséquences sur le quotidien de notre Cité bien-aimée, de très nombreux motivés s’étaient empressés de présenter leur candidature lors de la toute première élection pour occuper l’illustre place de Porte-Flamme. Cette diversité fut bonne en soi dans la mesure où elle permit aux citoyens de choisir la doctrine politique avec laquelle ils avaient le plus d’affinités.
Malheureusement, et comme il était facile de le prévoir, les voix se sont éparpillées, profitant à celui qui avait derrière lui une masse de gens prêts à le soutenir quoi qu’il arrive. Nous parlons bien entendu des Unnords, énorme alliance regroupant un nombre considérable de fidèles. « Une masse aisément contrôlable et prête à tout pour plaire au leader de leur groupe », diraient certaines mauvaises langues.
Mais la donne à changer pour les élections qui approchent à grands pas. Certes, Papillon est toujours soutenu par une foule de personnes. Notons également que son poste de Porte-Flamme lui a permis de créer des liens diplomatiques avec d’autres groupes politiques, s’assurant ainsi avec ruse de leur soutien inconditionnel. Papillon, s’il se présente, partirait gagnant.
Mais c’est sans compter sur les changements qui s’opèrent !
En effet, nombres d’anciens candidats, déçus par les magouilles présumées de certains et leur résultat électoral parfois décevant, ne se représenteront surement pas pour ce deuxième mandat. Du moins pas seul… Nous sommes alors en droit de penser que des rapprochements politiques pourraient s’effectuer entre les différents partis. D’ailleurs nous en avions vu quelques uns durant la première campagne. Les voix, moins dispersées, pourraient alors renverser la situation et créer la surprise.
D’autre part, la politique de Papillon en a révolté plus d’un. Le considérant comme inactif ou inefficace, à tord ou à raison, des citoyens dépités par la tournure des événements et constatant que leur doctrine politique n’était pas représentée, prirent alors une décision importante. Ils prirent leur destin en mains et se mirent en tête de créer un nouveau parti et tenter d’imposer leur idéologie à la Cité Eternelle.
Parmi tous ces partis émergeants, un seul est véritablement sorti du lot. Il s’agit de la LAME.

La LAME, ou Ligue Anti-Minorités Ethniques, est née à l’initiative d’un homme caché sous le titre ô combien pompeux, il n’en est pas moins respectable, de Grand Préjugé.
Munis d’armes, de convictions appuyées et d’une Foi incommensurable, les partisans à la cause du Grand Préjugé prêchent une doctrine politique disparue dans la Cité Eternelle.
En effet la dernière fois que de telles idées furent mises en avant, il y a de cela des générations, ce fut quand les gobelins débarquèrent avec leurs marchandises, faisant ainsi concurrence à bon nombre de marchands locaux qui prirent les armes pour chasser ces malvenus. Heureusement l’incident a connu une fin heureuse grâce à l’intervention de l’Oracle de l’époque qui réorganisa les taxes économiques. Cela ayant pour effet de permettre aux gobelins de partager leurs immenses ressources tout en apaisant la colère des marchands locaux.
Quoi qu’il en soit, la LAME a fait renaitre ce concept oublié qui résulte, sans nul doute possible, de la peur d’une catégorie de la population. Cette peur est transformée peu à peu en rejet de la population concernée et mène, triste constat, à des débordements des plus terribles.
Ce groupuscule extrémiste revendique donc l’extermination pure et simple des minorités qui représentent, selon eux, un véritable danger pour la Cité Eternelle. Personne n’est épargnée, à partir du moment où vous faîtes parti d’une minorité vous vous exposez à un risque grandissant, celui de subir les attaques verbales et agressions physiques de la LAME.
Appréciant par-dessus tout les préjugés, ils déclarent avec fierté à qui veut l’entendre, aux autres aussi d’ailleurs, qu’ils feront venir le règne de leur Dieu et de leurs convictions.

Mais qu’en est-il vraiment ? Le Grand Préjugé a-t-il des desseins cachés ?
Afin de répondre à ces questions j’ai tenté d’interviewer un des membres fanatiques. A ma grande surprise j’ai été reçu par le Grand Préjugé en personne qui a accepté de me donner une interview sans aucune contrepartie ce qui, vous l’avouerez, est plutôt rare par les temps qui courent. Munis d’une plume et d’un parchemin je me suis donc rendu au lieu de rendez-vous préalablement choisi par le dirigeant des extrémistes afin de connaitre tout ce qu’il y a à savoir sur la LAME.
Je vous rends ici, mot-à-mot, la conversation que nous avons eu :
(Pour des raisons de clarté nous mettrons les lettres « TGH » pour indiquer les paroles prononcées par votre journaliste adoré, et les lettres « LGP » pour Le Grand Préjugé, dirigeant du parti politique nouveau-né nommé la LAME)

« TGH : Bonjour cher Grand Préjugé.
Avant de commencer à aborder le sujet pour lequel je vous ai contacté, pourriez-vous nous préciser votre âge, votre sexe, votre profession et la couleur de vos cheveux ?

LGP : Mon âge restera indéfini, mon sexe est énorme et je n’ai aucune profession ! Je suis la voie dessinée par les Dieux. Je suis leader spirituel très charismatique de la LAME.
Quant à mes cheveux, ils sont blonds platines mais n’espérez pas que je vous les montre, vous n’êtes pas digne.

TGH : Bien, rentrons maintenant dans le vif du sujet. De manière générale, quelle idée vous faîtes-vous de la politique ? Que peut-elle apporter au peuple ?

LGP : Je pense que la politique est un outil qui doit être mis au service des idées majoritaires, exprimées au nom des dieux par la bouche de leur serviteur, le Grand Préjugé. Elle peut aider le peuple dans sa quête de purification et d’unification, mais cela doit se faire sous la main de fer d’un monarque issu de la majorité.

TGH : Les hommes politiques des précédentes élections, et plus précisément l’actuel Porte-Flamme, Papillon, vous semblent-ils proches de vous et des réalités sociales ?

LGP : Papillon n’est pas ce que j’appellerai un mauvais homme politique, ce n’est tout simplement pas un homme politique.
Tout d’abord ce n’est pas un personnage public, et il a brillé par son absence sur la scène pendant tout son mandat. Il n’est pour moi en rien apte à diriger la cité, bien que ce soit un personnage qui m’a déjà manifesté sa sympathie par le passé et à qui je la rends.
Je souhaite juste le voir faire face à la réalité et renoncer lui même à une nouvelle campagne.
Quand à son juge, il a prouvé son incompétence et sa faiblesse d’élocution à de nombreuses reprises, je souhaiterai voire quelqu’un de plus compétent le remplacer.

TGH : Nous voyons sans peine dans vos propos que vous ne portez pas le Porte-Flamme dans votre cœur. Pourtant durant le mandat de ce dernier, vous n’avez pas agit de manière conséquente pour obtenir sa démission. Pas de manifestation, ni de pétition. Seules quelques rares discussions. Comment l’expliquez-vous ?

LGP : Nous étions embourbés dans un procès avec un juge qui faisait preuve d’absences longues et fréquentes, ce qui nous a fortement limités dans nos actions. Nous aurions voulu faire quelques actions plus violentes et plus purificatrices, mais malgré son manque de carrure politique, le Porte-Flamme suit à la lettre nos principes dans la composition de son équipe.

TGH : Pourquoi cela ?

LGP : La totalité de ses gladiateurs sont issus des cultures majoritaires [ndlr : il s’agit ici des minotaures et des nains], ce qui dénote un certain sens des réalités. Toutes les races ne se valent pas.

TGH : La Confédération Anarchiste des Gladiateurs, allant jusqu’à dévoiler des preuves dont nous ne parlerons pas ici, fait partie intégrante de l’opposition. Vous sentez-vous proche d’elle pour autant ? Pourrait-il y avoir un éventuel rapprochement entre vos partis (politiques, dois-je le préciser ?!) afin de faire front commun ?

LGP : Non aucun rapprochement avec la CAG n’est envisageable pour nous. Ces gens sont profondément libertaires, et nous croyons seulement à la vertu d’un pouvoir fort et soutenu par la cohésion de la majorité.
Certes se sont de braves idéalistes, mais ils servent une mauvaise cause.
Il est à noter aussi que ces crétins sont contre les combats à mort, ce qui est un peu stupide de la part d’entraineurs de gladiateurs, mais que peut on reprocher à des syndicalistes, qui après tout sont limités dans leur conception de la société.
Penser un peu plus cyniquement ne ferait pas de mal à ces génies !

TGH : Les résultats des précédentes élections ont mis à jour un véritable désintérêt des habitants de la Cité Eternelle pour la politique. Avez-vous des idées pour améliorer l’intérêt des gens pour la politique ? Lesquelles ?

LGP : Nan je pense qu’il faudrait laisser tomber la politique, si ces gens ne saisissent pas la chance qui leur est offerte. La seule chose qu’ils méritent, c’est un bon dictateur, et rien d’autre !

TGH : D’après vous, le système politique idéal est donc la dictature ?

LGP : Etant donné que plus de 90% des habitants de cette cité sont des moutons qui ne s’intéressent pas à leur destin, je ne vois pas de quel droit on leur retire leur choix d’être dominés.

TGH : On a vu, lors de ces élections, un grand nombre de candidats se présenter. On aurait pu croire qu’ils représentaient tous des idées et des valeurs dans lesquelles chaque habitant de La Cité Eternelle aurait pu se retrouver. On connait pourtant les résultats…
Qu’en pensez-vous ? Cela a-t-il joué sur le taux de participation ?

LGP : Non je pense que ça a en partie déterminé le nombre d’alliances impliquées dans la lutte pour le pouvoir, mais que ça a eu très peu d’influence pour les électeurs qui n’étaient pas directement concernés.

TGH : Pensez- vous que les médias soient neutres dans le domaine politique? (ndlr : question piège)

LGP : Etant donné que les élections se sont terminées avant la parution du journal, je dirais que oui. Sinon je me permets de rajouter une phrase d’un grand homme : « pourquoi acheter un journal quand on peut acheter le journaliste ? »

TGH : Cela signifie-t-il que vous allez m’acheter ?

LGP : Non j’assume mes opinions et je les dis clairement. Je n’ai aucun scandale à masquer, donc je ne payerai pas cette fois-ci !

TGH : Bien, si vous avez un scandale à cacher ou de la désinformation à faire, vous savez où me trouver… Revenons à l’actualité.
Le sujet polémique du moment concerne la hausse des prix appliquée aux matériaux utiles aux citoyens pour construire les structures dont ils ont besoin. Qu’en pensez-vous ?

LGP : Le coût de la vie augmente, et c’est à cause des minorités. Pas la peine de chercher une cause ailleurs. Si on les vire, il y a moins de consommateurs, donc moins d’inflation.

TGH : Bien que nous ayons compris, quels sont les grands principes de la LAME ?

LGP : La haine des minorités culturelle et la croyance en la seule vertu de la majorité.
Je dois pouvoir vous trouver une petite déclinaison de ces principes :
Tout d’abord le fait qu’un préjugé, même si il est débile, est bon, vu que c’est un préjugé.
Ensuite, nous haïssons par-dessus tout les Mercenaires. Leur extermination est une de nos plus grandes priorités.
D’autre part, nous favorisons et encourageons les duels à mort lorsqu’ils engagent des cultures non majoritaires. C’est un moyen efficace et jouissif de les faire disparaitre.
De plus, toute diversité nuit à la cohésion, l’uniformité est la solution. Ne l’oubliez jamais.
Enfin, admettre le préjugé requiert une grande ouverture d’esprit. Le recrutement est extrêmement sélectif et se focalise sur des citoyens étant vraiment conscients du danger des minorités.

TGH : Comment appliqueriez-vous ces principes si vous, la LAME, accédiez au pouvoir ?

LGP : Je commencerai par demander une surtaxe sur l’achat de cultures rares parmi les 8 races de bases, et je demanderai une limitation de la vente de mercenaires. Le maximum de mercenaires serait envoyé dans les cages des lions afin de nourrir ces derniers.

TGH : Pensez-vous présenter un candidat aux prochaines élections ?

LGP : De ma propre initiative, non ! La démocratie n’est pas quelque chose d’adaptée pour cette cité, je refuse de me plier à tout ce cirque

TGH : Je vous remercie d’avoir répondu à mes questions avec tant de… franchise.

LGP : Merci à vous. Gloire aux majorités. »

Sortant de cette interview avec les idées claires, je savais exactement vers quoi se dirigeait la LAME, à qui elle s’adressait et contre qui elle agissait.
Comme le dit lui-même Le Grand Préjugé, les minorités sont à exterminer pour assurer le bon fonctionnement de la Cité Eternelle et même du monde connu.
Mais s’il existe des humanoïdes prêts à mourir pour en tuer d’autres, il en existe pour les défendre. C’est vers ces derniers que je me suis tourné. Car si nous savons désormais que la LAME utilise les moyens les plus sordides et les plus radicaux pour parvenir à ses fins, allant jusqu’à écorcher vifs des mercenaires dans des ruelles sombres, que savons-nous de la résistance qui lui est faite ? De quels moyens disposent ces opposants ?
Je n’eus pas besoin de chercher longtemps pour trouver des habitants farouchement opposés aux idées véhiculées par la Ligue Anti-Minorités Ethniques. Parmi eux on trouve des citoyens plus ou moins modérés. Certains prônent l’utilisation des armes et de la violence pour, je cite, « éliminer le mal à la racine ». D’autres, comme La ligue Marchande du Tasserar, ont choisi la voie légale, multipliant les procès contre le Grand Préjugé et ses suivants.
Malice, représentante de La Ligue Marchande de Tasserar, porta ainsi plainte pour incitation à la haine raciale et au meurtre. Le procès, compliqué au possible, est toujours en cours.

Je me dépêchai alors de contacter la Ligue Marchande de Tasserar afin d’obtenir une interview avec leur porte-parole sur cette affaire, Malice. Malheureusement cette dernière est partie en voyage pour raison professionnelle.

Tom Gilles Hubeurui