Elle était épaisse maintenant. Lourde. Humide. Glaciale aussi. Tout se perdait en elle. Leurs regards ne parvenaient à la percer de plus de quelques pas. Tout proches, ils n’étaient les uns pour les autres que de sombres silhouettes se détachant en elle. Leurs torches ne la transperçaient pas, faisant à peine danser une faible teinte orangée dans ses volutes blanchâtres. Elle étouffait tout. Même les bruits étaient amoindris par sa présence. Comme s’ils avaient peur de la troubler, de la réveiller …

La réveiller …

C’était stupide, elle n’était pas vivante ! Pourtant, les hommes étaient trop étroitement regroupés, trop serrés, même alors que la crainte de s’égarer était forte. Ils se méfiaient. Ils la craignaient.

Ils en avaient peur.

Ils en étaient terrifiés …

Et pourtant, ils devaient vaincre cette peur. Ils devaient rentrer en elle. Ils devaient la traverser. Il n’avait pas le choix. Le seul chemin passait par elle. Leur chemin. Non, il ne pouvait en être autrement. S’ils avaient pu faire autrement, ils l’auraient fait. Mais elle était là, et ils ne pouvaient pu reculer.

C’était le seul chemin …

A travers ses lourds volutes et son silence. A travers son étouffante moiteur. A travers elle

La brise fraiche qui soufflait sur eux les faisaient frissonner. De froid et d’horreur. Cela ressemblait tellement à une respiration … A un souffle. Le souffle profond d’une créature gigantesque et pourtant discrète, silencieuse. Tapie… Son souffle …

Ils savaient cette peur irraisonnée. Ils savaient que tout cela était tiré de leur imaginaire. Ils l’avaient déjà traversée tant de fois auparavant, sans d’autres craintes que celle de se perdre. Pourtant, aujourd’hui, c’était différent. Pourquoi était-ce différent ? Tout était pourtant pareil à leurs souvenirs.

Elle n’était pas plus épaisse qu’avant, ni plus lourde, ni même plus froide. Et elle avait toujours été aussi blanche de par le passé. Mais elle était différente aujourd’hui. En tout point semblable au passé, mais aussi tout autre. Immense et terrifiante.

Terrible.

Non, rien n’était comme avant. C’était bien différent …

Ils le comprirent.

Une torche s’éteignit. Un cri brisa le lourd silence, assourdi par sa présence, bientôt tu.

Elle avalait tout. Même les bruits…

Un autre brasero arrêta de brûler dans un nouvel éclat de voix sourd.

Puis un autre.

Et encore un autre.

Bientôt le silence retomba pour toujours sur elle.

En elle.

La Brume …

Terrible et silencieuse …

Ils l’avaient compris trop tard …